Après un long silence je vais essayer de retrouver le chemin de Tante Lizie

May 21, 2010

Ma chère petite tante, je vais essayer de revenir vers vous qui m’avez tant apporté. Je vous avais abandonnée comme je l’avais prévu pour mes étudiants, mais le désastre est arrivé et je dois me reconstruire. Voilà pour commencer un hommage à ma nièce Manon. Je sais que vous m’accompagnez.

Dans le cri des herbes et le bruissement des animaux,

Être vibrant du monde, tendre toile désemparée.

Tes fils sont présence invisible à travers la fenêtre de la cuisine,

Et dans un léger déchirement de vent, lueurs,

Perles des eaux chaudes de tous nos cœurs silencieux

Qui scintillent, furtives,

Fragiles

Comme est fragile à jamais ta présence

Et souterraine.

Pudiques

Comme est pudique à jamais ta présence.


Par delà la fenêtre, « Imsul », les poules,

Au delà du fil libéré de ton âme.


Être avec le monde,

Bruissante de courage et de sourdes passions,

Le dur et le tendre,

Le tentaculaire et le retiré,

Le cri pour se protéger du cri.


Etre pris dans le monde,

Poignée de glaise effrayée de devoir accepter,

Tes dents serrées et l’immensité de ta volonté,

Tes dents serrées pour mieux mordre

Toute la poussière de ton silence.


Jamais silence n’a fait autant de bruit.

Jamais bruit n’a feint autant le silence.

Jamais autant de masques,

Autant de blessures,

Autant d’ouvertures,

Jamais autant de vie, d’impénétrable vie.


Etre bruissant du monde,

Tout bruissant encore de tout le monde incontrôlable,

Envahissant,

De tous les mondes des ancêtres et des êtres inanimés,

Baobabs, herbes hautes des savanes, pissenlits et bambous,

Fleur de sagesse, boutons d’or menteurs,

Portes ouvertes et volets qui claquent, morsure du singe.

Mords !

Je te mets au défi.

Mords !


Et dans la rosée de l’été,

Ténu, souple, fragile et solide éternel,

Ce fil de nos pensées,

Baobabs,

Herbes hautes,

Pissenlits et bambous,

Tous ces boutons d’or menteurs

Et ton jardin de simples,

Toutes beautés pour le Mékong,

Noue d’Aveyron dans la lumière,

Où ta poussière se fera glaise;

Être bruised et bruissant du monde.


A Manon Elisabeth Marie de Barrigue de Montvallon, mai 2010.

Photo de famille

January 16, 2010

Jean Evrard, Ghislaine dans les bras de Marthe, “Boumma”, Lizzie, Jean Lefèbvre.

Pour ma mère

January 11, 2010

– Hommage à Jean Lefèbvre, mon grand-père

January 9, 2010

Je suis retournée à mes fonctions d’enseignante et je ne vais pas ou très peu pouvoir écrire pendant les trois mois qui viennent. Cependant je continue de lire…. J’ai quitté Lizzie quelque temps – qu’elle m’en excuse, pour aller à la rencontre de sa soeur et de son beau-frère, mes grand-parents. Je ne répéterai jamais assez combien c’est émouvant de donner chair à des êtres que je n’ai connus qu’à travers des photos, des histoires de famille et des vibrations de tendresse et d’amour  transmises par ma mère.

Mon grand-père a perdu son père à onze ans. Il se décrit comme un enfant fragile, hyper-émotif, habité par des présences nocturnes, attentif au bruissement du vent dans les arbres, au jeu de la lumière, au printemps qui renaît. Il  recherche la présence protectrice des femmes, de sa mère, de sa grand-mère mais elle rient avec tendresse et bienveillance de son émotivité et de ses passions littéraires. Rimbaud n’est une illumination que pour lui-seul dans le milieu dans lequel il est né. Il ne sait pas que Rimbaud ne peut être une illumination que pour soi-seul, quelque soit le milieu dans lequel on naît et quelque soit l’époque à laquelle on naît. Avoir besoin de Rimbaud, le solliciter pour comprendre le monde, c’est quitter à jamais le monde du commerce, petit ou grand, le monde de l’avoir, le monde du faire.

Jean Lefèbvre est un enfant du siècle, un petit Marcel Proust en herbe qui souffrira toute sa vie de ne pas en avoir le talent. Il est disorthographique comme ma mère, il déteste l’école comme ma mère, il adore parler aux arbres dans le silence accueillant et bienveillant du grand parc de la maison de famille, comme ma mère. Il fait confiance aux animaux et se méfie des hommes. Ma mère et lui  ont la même sensibilité, la même grâce, la même élégance intérieure, la même distinction. Il sont rebelles, iconoclastes, brouillon, anti-conventionnels. Ils sont décalés, ils sont ailleurs. Je regarde la photo de mon grand-père et je peux ressentir la chaleur de sa peau, les tempes fragiles qui s’animent sous le coup de l’émotion, l’enfance qui gît derrière ses grands yeux bleus. A nouveau, comme avec tante Lizzie, j’accueille l’enfant qu’il fut avec une infinie douceur, un infini respect.

Jean n’est pas qu’un enfant fragile. C’est un casse-cou curieux de tout, assoiffé de vie, qui se lance dans l’aventure automobile – il a un tricycle à pétrole en 1898 qui fait du soixante à l’heure mais il n’aime pas l’automobile. Il lui préfère l’aviation et apprend à piloter en 1907 à Mourmelon auprès de Robert Latham.  Comme les aviateurs de l’époque, il doit être aussi mécanicien, apprenti ingénieur, inventeur géo-trouvetou. Son premier essai le verra atterrir dans un tas de purin. Son avion s’appellera Patapon. Il a trente et un ans lorsqu’éclate la première guerre mondiale. Il sera fantassin pendant deux ans puis pilote et sera cité pour sa bravoure, ayant ramené à bon port, à basse altitude  au dessus des lignes ennemies, son coéquipier blessé. On lui décernera la Croix de Guerre. Sa fille Ghislaine reprendra à son tour et à sa façon le flambeau : jeune infirmière, elle fera preuve de courage lors des bombardements des ponts sur la Loire et deviendra infirmière volante en Indochine.

Jean Lefèbvre prend fait et cause pour la musique moderne, et assiste, à 19 ans, à la première de Pélléas et Mélisande de Debussy, puis à la deuxième, la troisième, la quatrième. Nouvelle illumination.

Jean Lefèbvre découvre les safaris en Afrique. Il rêve d’Afrique depuis tout petit, il se rêve explorateur. A partir de 1906, il parcourt l’Afrique Orientale Anglaise à plusieurs reprises. C’est en Afrique qu’il trouve ses racines véritables. C’est une terre qui le hante, qui le traverse par son essence, son essentialité.

Jean Lefèbvre se passionne comme Camille Flammarion, comme Freud un temps, comme Bergson, pour la métapsychie – enfance de la psychologie  – défendue par Charles Richet, prix Nobel de médecine. Il mène à leurs côtés de nombreuses expériences de photographies d’ectoplasmes et finance certainement leurs recherches. Ce sera une des grandes histoires de sa vie et le motif de sa rencontre à Bruxelles avec celle qui deviendra sa femme.

Jean Lefèbvre goûte comme tant d’autres de son époque, de son milieu et de sa sensibilité aux extases de l’opium, qu’il découvre en Egypte aux côtés d’un jeune couple persan. C’est une expérience de la beauté, de l’ardeur, de l’exaltation devant l’inconnu, de l’humilité. C’est une expérience qui le brûle et que les rigueurs de la deuxième guerre mondiale tranformeront en cauchemar.

Il est traversé par les angoisses de son temps, mais aussi par les préjugés de son époque qu’accompagne pourtant une soif de comprendre hors des sentiers battus. Il sera Croix de Feu, de cette droite républicaine hantée par la première guerre, forgée par la solidarité des tranchées et soucieuse d’éloigner de la France “le danger bolchévique”. Rentier et grand-bourgeois, il aura vu, de ses yeux vu, des princes déchus devenir chauffeurs de taxi.  Il cherchera, dans l’immense désarroi de son époque, les responsables de cette souffrance européenne. Il accusera les capitalistes, les banques, les communistes, les juifs. Il sera antisémite mais il ne sera jamais favorable aux brimades, à l’exclusion.  Il n’aura aucune sympathie pour les Nazi. Certains de ses amis sont juifs, des juifs de chair et d’os bien éloignés, donc, de la représentation intellectuelle et sur-généralisante qu’il s’en fait. En écrivant ceci, je m’interroge : être juif avait pour l’époque, semble-t-il, la même valeur qu’être communiste ou franc-maçon. On devait donc être juif par idéologie, par philosophie, par conviction culturelle et sociale, par adhésion à un programme………. et aussi par hérédité. Quelle curieuse représentation. On n’était pas “simplement” juif, un être humain parmi tant d’autres.

On dira de lui qu’il n’était qu’un grand bourgeois dilettante – ce dont il souffrira beaucoup – mais il fut un chercheur malheureux et vélléitaire qui ne put jamais rien trouver. Il voulut désespérément saisir une étoile, une intelligence du monde qui lui échappèrent. Il passa à côté de la grandeur. Jean est un homme dont une grande partie de la sensibilité choisit le XIX° siècle finissant contre le XX° rugissant. Il n’est pas Dada, il n’est pas surréaliste. Il ne bascule pas du côté des avant-gardes, …. sauf en musique. Il n’épouse pas “la modernité” et repousse toute idée d’un progrès qui ne pourrait qu’advenir, d’une course éperdue vers l’avant. Il n’est pas Hégelien, il n’est pas Marxiste, sa pensée n’annonce pas la deuxième moitié du  XX° siècle. Et pourtant il cherche, il échappe aux conventions de sa classe, il essaye de penser. Il se brûle les ailes. Il souffre depuis toujours d’une grande solitude et de l’incompréhension des membres de sa propre famille qui ne peuvent accueillir un tempérament aussi libre, aussi artiste, aussi flottant, aussi peu enclin à s’ancrer dans le monde concret de la possession et de la jouissance de cette possession. Il déteste avec ardeur toute pensée conformiste. Il suffoque dans l’étroitesse provinciale de sa Touraine natale dont il aime pourtant les arbres, le fleuve et les lumières, les vignes et la douceur de l’air. Il lui manque un guide, un père, un maître…… qu’il trouvera un peu dans la personnalité de Krishnamurti dont il fait la connaissance en 1920.

Lizzie et lui s’appréciaient. Lizzie passait beaucoup de temps avec sa soeur et son beau-frère avant son mariage avec Max. Jean avait presque vingt ans de plus qu’elle. Ils n’appartenaient pas à la même époque.  C’étaient deux fortes personnalités habitées par des sensibilités différentes et mues par des règles de conduite différentes. L’histoire a donné raison à Lizzie contre Marthe et Jean. Lizzie a duré, Lizzie a construit, Lizzie a “fait” le Cordon Bleu. Jean et Marthe n’ont pratiquement rien laissé derrière eux.

Et pourtant, mon grand-père m’a appris à lire puisque j’ai pioché mes premières amours dans sa bibliothèque. Il m’a appris à rêver à travers ses photos de safaris. Il m’a appris le beau à travers les meubles de Paul Iribe, grand dessinateur de vêtements et de meubles, décorateur en chef de Cecil B de Mille. Son style de vie m’a toujours fascinée. Il m’apprend aujourd’hui à me rattacher, à travers lui, à une expérience du vingtième siècle disparue à ma naissance après la libération. Avec lui je côtoie l’univers de coulisses et de magie des Jean Cocteau,  Pierre Louÿs,  Claude Farrère,  Francis Poulenc, Maurice Magre. J’embarque sur ce transatlantic très select et discret pour comprendre la traversée du siècle de ce grand-père “Fitzgeraldien”, de ce Gatsby tourangeau, de cet homme qui a le mal du siècle et qui appartient par son amertume à “la génération perdue” dont parle Gertrude Stein.

Cher grand-père, je vous remercie de cette visite inattendue que vous me faites, de cette vie que vous avez voulue grande, de cette passion pour votre époque.Vous n’avez pas été à la hauteur, dites-vous, de vos ambitions. Vous avez été brisé par la guerre, par les guerres. Vous avez été humain, très humain. Vous vous êtes trompé, vous avez été injuste, vous avez été dans l’erreur , vous avez été  jugé non pour ce que vous étiez mais pour ce que vous représentiez. Vous avez été, de votre propre aveu, “un écrivain raté”. Vous avez porté un regard bien dur sur vous-même. Votre plus belle création littéraire, sachez-le, c’est votre vie, c’est votre fidélité au romantisme de votre époque, au décadentisme d’une société que l’histoire efface et qui s’abîme dans l’océan de l’après-guerre qui donne à tous. Vous n’avez pas mérité de finir vos jours dans une telle amertume et je sais maintenant que j’aurais tant aimé vous rencontrer.

December 31st 2009

December 31, 2009

First, I hope that we will all have a better year than the year we have just been through…..  but I am not that optimistic. Shall we say then, as good a year ? Not so great either. Lets say A YEAR.

Yesterday I was very moved. As I was rummaging through the boxes and travel luggage filled with papers and photos at my parent’s house, looking for a better understanding of Madame Brassart’s sister, Marthe, my grand-mother, I found unread documents written by my grand-father, his “confessions”, like Alfred de Musset’s “confessions d’un enfant du siècle”, for he was of a generation who turned 20 in 1900, had known two wars,  the first automobiles and the first planes. He did the first safaris in Africa, was impassioned by scientific metaphysics, learned to fly with Santos-Dumont, was a pilot during World War I and tried desperately to be a writer. He was the child of the twentieth century and he will help me understand how amazing, confusing, thought-provoking and anxiety-ridden this generation was in the turmoil of colonisation, economic expansion, a depression  and two european wars. Already as I read his life, I feel that history is repeating itself.

No one had ever read these confessions. I had planned to write a confession of mine, a confession of sorts,  of love to my mother for Christmas but had no time to do it for complicated reasons. My mother, I must say, is 82 years old. But there it was, this was my present, the discovery of a letter written by her own father for his children, recounting the important moments of his life. She told me I was her go-between, her way to reach out to a father she had loved so much. She had said the same thing  years ago as we travelled though the Philipines looking for spiritual healers. So, I shall be the go-between, between cultures, between continents, between generations, between syblings. A bridge, an extanded hand, a vibration, a thread of……

Let’s have a combative, insightful, intelligent and creative year 2010. Let’s have a sensitive, caring, loving year 2010.

Queues

December 22, 2009

1945…… extrait

December 18, 2009

(…) Lizzie a dû sentir que le projet de son mari ne suffirait pas à nourrir sa famille. Max, passionné, les avaient convaincues, un temps, qu’il avait tous les contacts et l’expertise pour se lancer dans l’aventure d’une librairie mais une clause de non-concurrence les avait empêchés de poursuivre ce projet ; il y a une autre librairie de livres anciens dans le quartier. Les salons de thé, en revanche, n’ont pas désempli pendant la guerre, les clients venant tout autant se réchauffer à la parole humaine qu’au poêle ou à la tasse de chocolat chaud à l’eau. Lizzie sait bien, comme tous les Parisiens affamés, combien la nourriture est importante. Elle sait bien quelle convoitise elle réveille au creux de son imaginaire. Elle sent là qu’elle est en connivence avec son temps, que ce « Cordon Bleu » peut être une belle aventure.

Quelle idée, en effet, alors que l’on a encore si faim, de reprendre un cours de cuisine! Quelle idée saugrenue et si bien venue : vivre de ce qui occupe tant les esprits. Jamais les Parisiens n’ont tant parlé de nourriture. Le 7 juillet 1940, Simone de Beauvoir note dans son carnet «  il y a à nouveau des pommes de terre. », le 16 août 1944 « le métro est fermé – l’électricité fait défaut, les bougies manquent, on s’éclaire avec des chandelles brunâtres. On ne trouve plus rien à manger. » Plus loin, «c’est tout un travail de faire cuire une poignée de nouilles sur un réchaud confectionné».

Pourtant les Parisiens ont le sens du maintien et se racontent des histoires de banquets pour tenir tête. « Quelqu’un lit à voix haute, prétendant nous faire rire, une recette gastronomique d’autrefois, je veux dire de 1939 : vous prenez huit ou dix œufs…… – A qui ? demande une petite fille qui n’a pas ri. C’est une petite fille de ces temps-ci, proche de l’adolescence, mince, âpre et l’œil à tout….D’un mot elle vient de nous faire voir qu’elle se forme sur le bien d’autrui, sur ce qui est licite ou interdit des idées personnelles : « vous prenez huit œufs …». Elle sait que huit œufs ne s’achètent nulle part. » nous raconte Colette.

Dans les restaurants de dernière catégorie, la catégorie D, inaccessibles à beaucoup de gens, « on servait sous le nom de chevreaux d’étranges venaisons. » qui rappelaient curieusement le Siège de Paris. On peut priver les Français de nourriture mais non de la culture qui l’environne, ni du discours qui l’accompagne, ni des livres qui en consignent l’usage pour l’avenir. Au plus fort de la guerre de 70, pendant la famine, quand les Parisiens assiégés mangeaient des rats et des racines, il en fut encore quelques uns pour organiser des banquets et développer de grandioses menus. Il est vrai que les gens les plus fortunés s’étaient nourris de leurs chevaux, puis de leurs animaux domestiques puis des animaux des zoos parisiens. Ils mangèrent donc du rat et du chameau, du chat et de l’éléphant, le tout organisé selon l’étiquette française, comme en témoigne le célèbre menu du restaurant Voisin du 25 décembre 1870, 99ième jour de siège, qui présente les rôts suivants: « cuissot de loup sauce chevreuil » « le chat flanqué de rats. », « salade de cresson » « la terrine d’antilope aux truffes. » « cèpes à la bordelaise » « petits-pois au beurre ».

Ni ours ni kangourou ni zèbre pour nos Parisiens de 1945. Toutes les forces vives se sont concentrées sur la nécessité de trouver à manger. Les magasins affichent des panneaux « aujourd’hui pas d’œufs, ni lapins, ni volailles», « n’attendez pas inutilement », « denrées fictives ». Les étagères des épiceries sont remplies de boites vides, tel un décor de théâtre. Au milieu de la rue de Rennes, Doisneau nous montre une bicyclette tirant une carriole avec du foin et une chèvre trônant sur le foin. Les Parisiens ont transformé leurs balcons en volières, en élevages à lapins. Les mères de famille déploient une énergie folle pour arriver à nourrir leur famille. Lizzie a deux enfants, ma grand-mère paternelle cinq. Il leur faut faire d’interminables queues pendant des heures pour espérer trouver qui de la farine, qui du rutabaga, qui quelques choux de Bruxelles. Dans certaines familles, tous les membres se relaient pour faire la queue. Dans d’autres, c’est devenu une profession : de 4,5 francs à 9 francs de l’heure. Les concierges louent des espaces dans leurs cours pendant le couvre-feu pour les personnes désireuses d’être les premières servies. Sinon, on peut toujours avoir recours au marché noir. Tout se vend au marché noir. En 1945, rien n’a changé. L’agriculture française est défaite, désorganisée, en manque d’engrais pour la terre, d’essence pour le matériel, de bras pour la récolte. Tout est importé des Etats-Unis. On fait la queue, mais on fait la queue, libre. Il en sera ainsi jusqu’en 1948.

Toute l’année 1945 se passe en pourparlers entre Max et Marthe. Elisabeth a probablement préféré laisser son mari s’occuper de toute cette première phase de développement. (…)

Unstuck

December 17, 2009

Finally, I did it. I have not finished yet, the chapter is long and intricate but I did it : I got unstuck. I managed to bring in layers of stories and feelings, hard facts and emotions, recollections and projections. It is probaly the most intricate chapter I will have to write…. but never say “fountain, fountain, I shall not drink of your water”. Or is that a french saying ? :” Fontaine, fontaine,  je ne boirai jamais de ton eau.” It is late, I am tired, I am emotionnally drained.

It is very taxing to try to recount a very well researched and documented, intense, profound, nerve-wrecking moment of history, trying to respect its complexities and intensities and yet tell the daily life of ordinary people. It makes one think. To capture the humanity of beloved ones, of your own flesh and blood is tricky. Culpabilities, misunderstandings, they all hit you in the right place. Post war propaganda wanted us all to be heroes. But they were no more heroes then than we are now. No less either. History gives you a sense of control, of power. Humanity is so frail. Contemporaneity is so frail. Love is such a complicated issue. So is loyalty, loyalty to a clan, to a family, to a culture, to a country, to a myth. We should ask the Germans. They have explored such themes with a soul-wrenching intensity.  They know and will not play again the game of feeling superior, of accepting what the official state propaganda will tell you, will make you do. Or so I hope. But it should make us think, in this “thirties” like environment  when we accept so many lies, in order to feel strong, to feel wholesome, to feel respected. Power has changed hands but empires are still there.

When you look at history through the minute particles of one’s life, all you see is a big interrogation mark : what would I have done in such circumstances ? We will never know, there is no such thing as revisiting History. I just know how enormous it is for me to be true to my values when I am confronted with firm and powerful opposition. And yet I know that this “local” enormity would never make me a heroe.

So, I write, I write as well as I can “one” reality and try to mingle it with the reality at large. It makes me feel emotional, fragile, human. The second world war will forever be an uncharted territory, a manure onto which my imagination and my sensibility grew. My aunt Lizzie was an ordinary heroe, one who could go to sleep at night, knowing that she had hurt no one, at a time when it was so simple not to be true to oneself.

Ecrire, écrire et rencontrer….

December 17, 2009

J’écris, j’écris, j’écris, je transforme, je coupe, je récupère, je jette, je défroisse, j’insère, je lis, je découvre, je transcris. La vie est une belle aventure. Je découvre mes tantes sous des jours nouveaux, j’interroge ma place dans la société, je retrouve ma cousine en plein embouteillage parisien et  guette, pour nous éviter les bouchons, chaque visage à travers les fenêtres embuées des voitures pour reconnaître sa silhouette ; je visite un château-fantôme avec elle, une dépouille post-moderne d’un monde perdu, nous écoutons une femme parler de son grand-père – il n’intéresse pas notre histoire.

Je traverse les temps et suis contemporaine d’Escoffier, de Rémy de Gourmont, de Madame Ducatteau, mon ancètre des peignages du nord. J’étudie mon regard de sociologue en herbe : ne pas adhérer à leurs représentations du monde, respecter leur sensibilité, ne pas être le jeu de mes émotions, respecter Marx et respecter mes ancêtres. Je suis une chrétienne de gauche, je redécouvre ma famille intellectuelle. Une chrétienne de gauche est ulcérée par les injustices des puissants et respectueuse de l’humanité de chacun. Une posture fort peu “politiquement correcte” depuis quarante ans.

Je viens de traverser la guerre. Que dire de la guerre quand on parle de l’ouest de Paris, que dire de toute la guerre ? Sinon que nous sommes humains, éternellement humains, et bien trop arrogants face à l’Histoire. Retraverser l’humanité de ma famille et savoir que ce qui fut pénible pour eux fut atroce pour d’autres. Ne pas s’inventer, comme tant de Français, de résistants fictifs. Parler du Parisien de tous les jours, celui qui me ressemble, celui qui n’est pas un héros et qui n’est pas un lâche, celui qui a froid, qui est malade, celui qui lit, celui qui vit. Celui qui préserve sa dignité dans des petits gestes d’entraide qui ne lui vaudront pas une plaque, ni une stèle, ni un monument mais qui ont fait qu’il est mort digne, espérant ne pas avoir trahi son humanité, espérant avoir été à sa hauteur. Nous sommes tous de taille différente. Tante Lizzie ne me désavouerait pas :  “nous sommes la somme de ce que nous avons été”. L’héroïsme appartient à l’inconscience de la jeunesse et tant mieux, que la jeunesse est belle.

Lizzie traverse la guerre. Sa soeur, Marthe, traverse la guerre. Ce ne sont pas des héroines, ce ne sont pas des traîtres. Il n’y a rien de plus émouvant que de traverser cette humanité de la guerre, loin des propagandes, des poncifs des livres d’école. Rien de plus émouvant que d’essayer d’endosser leurs manteaux et de savoir tout ce qu’elles n’ont pas su, tout ce que le recul nous enseigne et tout ce qu’elles ont souffert, dans l’impuissance du savoir.

Vous n’apprendrez rien sur Lizzie, ce soir. Je réserve ce que je sais pour le livre, mais vous m’accompagnerez dans les méandres de notre humanité commune. De toutes petites histoires, de grands gestes du moment. Je sais parce que j’en sors – d’une réunion de Comité d’Entreprise de mon école  dont je suis secrétaire- combien ce qui est grand pour soi, dans son histoire, dans sa relation au pouvoir, peut être dérisoire au regard de l’Histoire. Et pourtant, un haussement d’épaules pouvait vous faire arrêter. Et pourtant le danger était là.

J’ai été nourrie de films d’après-guerre, de films de propagande et j’ai cru, adolescente, que je devais être à la hauteur de ces pilotes dont les avions brûlaient, de ces femmes passeuses de messages, de ces femmes les armes au poing. Je croyais qu’elles représentaient toute la France, et toute l’Angleterre et tous les Etats-Unis et que si jamais je ne serais femme parce que je ne voulais pas me maquiller, jamais je ne serais femme si je ne ressemblais pas aux héroines des films de cette époque-là.

Lizzie a deux enfants, Lizzie sait dire aux Allemands la place qu’ils doivent tenir, Lizzie sait intervenir pour ses amis, sait faire un petit geste utile. Elle sait rester foncièrement honnête et droite et généreuse dans un monde où toute déviance est possible. J’espère lui ressembler. Je voudrais tant lui ressembler. Je ne veux pas être une héroine.

December 13, 2009